Le site fortifié du Purpurkopf, aux origines du phénomène castral en Alsace

Le sommet du Purpurkopf, petite éminence gréseuse dominant le versant sud de la vallée de la Magel, à 570 m d’altitude, abrite les vestiges d’un bâtiment rectangulaire entouré d’une vaste enceinte longue de 375 m.

 

Les fouilles archéologiques menées depuis 2022 par Archéologie Alsace sur le site ont permis d’attribuer cette fortification au Moyen Âge central et suggèrent de l’associer à un castrum comtal du 10e siècle mentionné dans une bulle du pape Léon IX. Il s’agirait donc de la seule fortification connue à la fois par une mention textuelle et par des éléments archéologiques pour l’Alsace du Moyen Âge central.

Deux campagnes de fouilles ont été menées à l’été 2022 et 2023, grâce au soutien d’acteurs publics, universitaires, associatifs et à du mécénat privé. Elles ont d’ores et déjà permis de préciser la datation et la morphologie des vestiges.

Les attributions chronologiques anciennes

Dans l’ensemble, les spécialistes qui se sont penchés sur son cas à partir du 19e siècle et jusqu’au premier tiers du 20e siècle attribuaient tous une origine protohistorique à la fortification du Purpurkopf, tout en s’accordant en général sur une continuité de l’occupation ou une réoccupation du site à l’époque romaine. À la fin des années 1970, Armand Kieffer réalise un relevé topographique du site et propose d’attribuer la construction du bâtiment central à une phase plus récente, suggérant qu’il pourrait s’agir d’une construction alamane. Sans remettre complètement en cause la possibilité d’une origine antique ou protohistorique de l’enceinte, Thomas Biller et Bernhard Metz voient dans le bâtiment sommital un édifice médiéval plus tardif qu’ils proposent de rattacher à un castrum du 10e siècle mentionné par une bulle pontificale de Léon IX de 1049, qui précise que cette fortification appartenait à ses ancêtres au milieu du siècle précédent. Cette hypothèse, soutenue également par Jean-Michel Rudrauf, est à l’origine du programme de recherche et des fouilles menées sur le site depuis 2022. Une relecture approfondie de la bulle de Léon IX, unique source historique disponible, a permis de préciser le cadre historique et de définir de nouvelles problématiques de recherche.

Un bâtiment fortifié du Moyen Âge central

 

Le bâtiment sommital, de plan rectangulaire, mesure 18,60 m de long pour 11 m de large. Ses murs, larges de 2,10 à 2,30 m, sont conservés sur une hauteur maximale de 2,90 m. Ils sont formés de deux parements à l’appareillage irrégulier de blocs et moellons de grès rose bruts ou grossièrement équarris, enserrant un blocage de moellons et cailloux, liés par un sable extrait sur place mélangé à de l’argile. L’absence d’ouverture et d’ancrage de poutre dans les élévations conservées suggère que le bâtiment était doté d’un accès en hauteur. Le ou les niveaux d’occupation du bâtiment devaient ainsi se trouver sur un plancher situé à l’étage, au-dessus des parties conservées. Le volume des matériaux effondrés permet de restituer une élévation en pierre avoisinant 5 m de hauteur initialement. Cette imposante fondation en pierre pourrait avoir été surmontée d’une construction en bois, l’absence de mortier ne permettant que difficilement la mise en place d’ouvertures dans les parties en pierre.

Le mobilier archéologique mis au jour dans les niveaux associés à la construction et à l’abandon du bâtiment, et notamment les fragments de céramique culinaire, a permis d’attribuer sa construction à la fin du 9e ou au début du 10e siècle. Ces éléments ont été corroborés par des datations radiocarbone réalisées sur des charbons de bois découverts à l’intérieur du mur. Des carreaux d’arbalète retrouvés à l’intérieur du bâtiment confirment la vocation militaire de l’édifice suggérée par ses caractéristiques architecturales.

Aucun mobilier postérieur au 11e siècle n’ayant été découvert à ce jour, le bâtiment semble avoir été rapidement abandonné, tout au plus une centaine d’années après sa construction. Cet abandon rapide interroge, d’autant qu’aucune trace d’une éventuelle destruction violente n’a été décelée. La famille qui possédait le Purpurkopf fonda, probablement à la fin du 11e siècle, un autre site castral, le Guirbaden, qui dominait lui aussi la vallée de la Magel, afin de continuer à contrôler cet axe commercial.

Une occupation antique à définir

La fouille du bâtiment sommital et la prospection des pentes à l’intérieur du périmètre fortifié ont révélé les vestiges mobiliers d’une occupation de l’Antiquité tardive. De nombreux fragments de céramique culinaire attribués aux 3e et 4e siècles de notre ère ont notamment été retrouvés dans les niveaux de construction et de démolition du bâtiment médiéval, où ils étaient mélangés au mobilier des 9e-10e siècles. Bien qu’aucune structure antique n’ait été découverte pour l’instant, la quantité de mobilier suggère une occupation importante dont les vestiges auraient pu être fortement impactés par les travaux de terrassement et de construction médiévaux. Jusqu’à la campagne de fouille 2023, l’une des principales hypothèses proposait d’associer ce mobilier à l’enceinte entourant le sommet et d’y voir une fortification de l’Antiquité tardive, qui aurait pu participer aux défenses des frontières de l’Empire dans le contexte d’incursions germaniques. La construction du bâtiment au sommet au 9e ou au 10e siècle aurait ainsi profité d’une fortification préexistante.

En 2023, l’ouverture d’une nouvelle fenêtre de fouille au niveau de la pointe sud de cette enceinte visait justement à récolter des indices susceptibles de dater sa mise en place et de préciser son mode de construction. La découverte de céramique culinaire du Moyen Âge central dans son niveau de fondation invite à reconsidérer l’hypothèse de départ et suggère plutôt une contemporanéité de l’enceinte et du bâtiment sommital. Des sondages complémentaires seront réalisés lors des campagnes à venir de façon à récolter des éléments supplémentaires sur d’autres tronçons de la fortification afin de préciser la chronologie de l’ensemble de son tracé.

Un site unique pour appréhender la genèse du phénomène castral

Les recherches menées au Purpurkopf permettent d’appréhender la naissance du phénomène castral, globalement méconnue en Alsace, région dans laquelle aucun castrum antérieur au 12e siècle n’a encore jamais été fouillé. Si l’architecture des châteaux forts est bien connue pour la fin du Moyen Âge, presque tout reste encore à découvrir concernant les 9e-11e siècles. Une comparaison avec les autres sites européens déjà fouillés ainsi qu’avec l’éclairage apporté par les sources textuelles suggère qu’un tel site fortifié devait bien avoir une fonction résidentielle, mais qu’il ne s’agissait pour autant pas d’une résidence élitaire : si les ancêtres de Léon IX ont bien fondé le Purpurkopf, il est peu probable que ceux-ci l’aient adopté comme lieu de résidence. Les fouilles à venir devront donc préciser les fonctions de ce castrum et permettre de clarifier le lien entre les occupations tardo-antique et médiévale.

Les premiers éléments de réponse apportés s’intègrent dans l’axe de recherche développé par l’UMR 7044 Archimède autour des enceintes et sites de hauteurs, ainsi que dans la thématique « Lieux et espaces du pouvoir » du pôle « Pouvoirs, normes et conflits » de l’UMR 8529 IRHiS. Reposant sur un dialogue constant entre histoire et archéologie, ce projet entend comprendre la singularité du Purpurkopf, tout en l’intégrant dans son contexte local, régional et européen.

Arrière-plan : © T. Laurent


GÉNÉRIQUE

Propriétaire

Ville de Rosheim

Responsable scientifique 

Florent MINOT

Collaborateurs    

Élise Arnold, Philippe Elsass, Tristan Martine, Cédric Moulis

Prescription et contrôle scientifique

Direction régionale des affaires culturelles du Grand Est - service régional de l'archéologie

Financement et soutien

Collectivités : Archéologie Alsace, Direction régionale des affaires culturelles du Grand Est, Ville de Rosheim, Communauté de communes des Portes de Rosheim / Université : IRHiS, LAMOP, TEMOS / Associations : Club Vosgien Purpurkopf, Société des Amis de Rosheim, Société d'Histoire et d'archéologie de Molsheim et environs, Rotary Club / Entreprises : Elsass Locations, Boulle, Fischer Peinture, Maurice Frères

 

 


RAPPORTS D'OPÉRATION

2022


EN SAVOIR PLUS

Découvrez le site et les recherches en cours en regardant le reportage réalisé par Thomas Laurent


CONTACT

florent.minot@archeologie.alsace >>